lundi 14 novembre 2011

Une histoire avec des méchants, des gentils, des armes, et de la drogue.



L’invasion de la Rocinha-  une des plus grandes favela d’Amérique latine avec quelques 120 000 habitants-, de Vidigal et de Chacara do Céu, dans la zone Sud de Rio, attire l’attention des médias cariocas et du monde entier. Si ce n’est que la 19ème favela a faire l’objet d’une opération de pacification, la Rocinha est emblématique, et nécessite d’un contingent massif (comparable à l’occupation du complexo do Alemão l’année dernière). L’intervention s’est faite parait-il sans coups de feu … l’annonce de l’événement faite à priori aurait permis aux méchants trafiquants de quitter la favela avant de se retrouver dans les gros bras armés des policiers militaires.

Revenons rapidement sur l’histoire de ce pouvoir parallèle qui régnait le morro depuis plusieurs décennies… car – ne nous le cachons pas – on est tous si friands des histoires de trafiquants qu’on ne se lasse pas des films sur le sujet ! (Franchement, qui ne s’est jamais pris pour Le Parrain devant sa glace au moins une fois dans sa vie ?)

Rocinha a connu dans son histoire 3 PATRONS (à prononcer à l'italienne) : Dênis, Lulu et Nem. Dênis ayant mis en place un trafic à grande échelle, il régnait dans la favela de manière absolue dans les années 1980 et 1990. Planqué à Tijuca (zone Nord), il gérait les négoces à distance ; et son incarcération en 1987 ne l’a pas empêché d’ « administrer son territoire ». Aucun scrupule d’enrôler des gamins soldats, business oblige. Pourtant, sa mort en 2001 – pendu dans sa cellule par ses chers compagnons de taule – annonça le début d’une guerre des gangs, quand son neveu – Lulu- quitta le Comando Vermelho pour s’allier aux ADA, Amigos dos Amigos. En 2004, o Lulu (ADA) et o Dudu (CV) s’enfrontèrent à Rocinha et Vidigal pendant 4 longs mois, jusqu’à ce que la police s’en mêle, tue Lulu et expulse Dudu.
C’est le fameux Nem qui repris l’affaire jusqu’à ce qu’il soit fait prisonnier jeudi dernier. Et oui, pour une fois, les policiers militaires auraient refusé les pots-de-vin des trafiquants en tentative de fuite. (Bien sûr, quelques collègues avaient aidé à organiser la fuite, on est au Brésil tout de même).


Pour les amateurs de détails croustillants ; je continue l’histoire de la fuite d’Antonio Francisco Bonfim Lopes – plus connu sous le pseudonyme de Nem-, retrouvé par le bataillon spécial de la police militaire dans le coffre d’une voiture à la sortie de Rocinha et fait prisonnier le 10 Novembre dernier. Mais qui conduisait la voiture ? L'ambassadeur  du Congo en compagnie d'un de ses fonctionnaires et son avocat ? Qu'est ce qu'ils foutaient là eux ? Habile tentative de falsification d’identité des trafiquants, mais l’ambassade congolaise a rapidement annoncé qu’aucun de ses représentants ne se trouvait en terre carioca. Le trio de « congolais » refusa aux policiers militaires une fouille du véhicule ; sous couvert d’une immunité diplomatique. Les flics ont donc escorté le véhicule jusqu’à la Police Fédérale. Sur le chemin, les trafiquants ont bien essayé de refiler un million de reais aux policiers pour s’enfuir discrètement… et c'est là que les PMs ont ouvert le coffre de la voiture, où se planquait allègrement Nem, au milieu de soixante mille reais et cinquante mille euros.


L’occupation de la favela par les forces de l’ordre fait trembler l’empire Rocinha S/A, à l’origine de flux de 2 millions de reais (soit presque un million d’euros) chaque semaine. Bien sûr, l’économie informelle de Rocinha ne se limite pas à ses grands patrons ; il ne faut pas oublier toutes les petites mains qui survivent de ce trafic. Rocinha était réputée pour bien payer ses jeunes « endoladores », qui touchaient un salaire hebdomadaire moyen de 200 reais pour emballer de l’herbe et de la cocaïne, contre 50 reais ailleurs. Dans la raffinerie, qui pouvait générer quelques 250kilos de coc’, 15 personnes touchaient jusqu’à 1500 reais hebdomadaires.  Sans compter les lieux de prostitution, une clinique à avortements, des agences de tourisme, les mototaxis et vans.


Quel objectif se cache derrière ce déploiement choc de 3000 MPs et militaires fédéraux ? Offrir la sécurité à tous ces citoyens démunis ? Probablement, mais si c’était le seul objectif, peut-être les pouvoirs publics essaieraient-ils de lutter plus activement contre la corruption et la relative violence des 18 autres UPP (Unités de Police Pacificatrice), dont l'action divise les habitants. Surtout, ils se seraient attaqués au problème depuis bien longtemps, et n'auraient pas oublié de nombreuses favela de la zona norte. C'est loin d'être un secret, l’enjeu pour Sergio Cabral, gouverneur de l’Etat de Rio, et son secrétaire à la sécurité publique, José Mariano Beltrame, est surtout de prouver au monde entier que la Coupe du monde 2014, les Jeux Olympiques en 2016, la conférence des Nations Unies Rio+ 20, etc, ne se dérouleront pas dans un contexte d’insécurité ! Il faut en finir avec le trafic et la violence trop visibles ! Soyez rassurés petits français donc, vous pouvez prendre vos billets Paris-Rio en toute tranquilité..

Malgré l’amour inconditionnel des cariocas pour le « futbol », ils semblent décidemment lassés de voir la Coupe du monde aspirer toutes les ressources publiques… du moins celles qui ne sont pas restées dans les poches des politiques. 


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