L’invasion de la Rocinha- une des plus
grandes favela d’Amérique latine avec quelques 120 000 habitants-, de
Vidigal et de Chacara do Céu, dans la zone Sud de Rio, attire l’attention des
médias cariocas et du monde entier. Si ce n’est que la 19ème favela
a faire l’objet d’une opération de pacification, la Rocinha est emblématique,
et nécessite d’un contingent massif (comparable à l’occupation du complexo do
Alemão l’année dernière). L’intervention s’est faite parait-il sans
coups de feu … l’annonce de l’événement faite à priori aurait
permis aux méchants trafiquants de quitter la favela avant de
se retrouver dans les gros bras armés des policiers militaires.
Revenons rapidement sur l’histoire de ce
pouvoir parallèle qui régnait le morro depuis plusieurs
décennies… car – ne nous le cachons pas – on est tous si friands des histoires
de trafiquants qu’on ne se lasse pas des films sur le sujet !
(Franchement, qui ne s’est jamais pris pour Le Parrain devant
sa glace au moins une fois dans sa vie ?)
Rocinha a connu dans son histoire 3
PATRONS (à prononcer à l'italienne) : Dênis, Lulu et Nem. Dênis
ayant mis en place un trafic à grande échelle, il régnait dans la favela de
manière absolue dans les années 1980 et 1990. Planqué à Tijuca (zone Nord), il gérait les
négoces à distance ; et son incarcération en 1987 ne l’a pas empêché
d’ « administrer son territoire ». Aucun scrupule d’enrôler des
gamins soldats, business oblige. Pourtant, sa mort en 2001 – pendu dans sa
cellule par ses chers compagnons de taule – annonça le début d’une guerre
des gangs, quand son neveu – Lulu- quitta le Comando Vermelho pour
s’allier aux ADA, Amigos dos Amigos. En 2004, o Lulu (ADA) et o
Dudu (CV) s’enfrontèrent à Rocinha et Vidigal pendant 4 longs mois, jusqu’à ce
que la police s’en mêle, tue Lulu et expulse Dudu.
C’est le fameux Nem qui repris l’affaire
jusqu’à ce qu’il soit fait prisonnier jeudi dernier. Et oui, pour une fois, les policiers militaires auraient refusé les pots-de-vin des trafiquants en tentative
de fuite. (Bien sûr, quelques collègues avaient aidé à organiser la
fuite, on est au Brésil tout de même).
Pour les amateurs de détails
croustillants ; je continue l’histoire de la fuite d’Antonio Francisco
Bonfim Lopes – plus connu sous le pseudonyme de Nem-, retrouvé par le bataillon spécial de la police militaire dans le coffre
d’une voiture à la sortie de Rocinha et fait prisonnier le 10 Novembre dernier. Mais qui conduisait la voiture ? L'ambassadeur du Congo en compagnie d'un de ses fonctionnaires et son avocat ? Qu'est ce qu'ils foutaient là eux ? Habile tentative de falsification d’identité des trafiquants, mais l’ambassade
congolaise a rapidement annoncé qu’aucun de ses représentants ne se trouvait en
terre carioca. Le trio de « congolais » refusa aux policiers
militaires une fouille du véhicule ; sous couvert d’une immunité
diplomatique. Les flics ont donc escorté le véhicule jusqu’à la Police
Fédérale. Sur le chemin, les trafiquants ont bien essayé de refiler
un million de reais aux policiers pour s’enfuir discrètement… et c'est là que les
PMs ont ouvert le coffre de la voiture, où se planquait allègrement Nem,
au milieu de soixante mille reais et cinquante mille euros.
L’occupation de la favela par les forces
de l’ordre fait trembler l’empire Rocinha S/A, à l’origine de flux de 2 millions de
reais (soit presque un million d’euros) chaque semaine. Bien sûr, l’économie
informelle de Rocinha ne se limite pas à ses grands patrons ; il ne faut
pas oublier toutes les petites mains qui survivent de ce trafic. Rocinha était
réputée pour bien payer ses jeunes « endoladores », qui touchaient un
salaire hebdomadaire moyen de 200 reais pour emballer de l’herbe et de la
cocaïne, contre 50 reais ailleurs. Dans la raffinerie, qui pouvait générer
quelques 250kilos de coc’, 15 personnes touchaient jusqu’à 1500 reais
hebdomadaires. Sans compter les lieux de prostitution, une clinique
à avortements, des agences de tourisme, les mototaxis et vans.
Quel objectif se cache derrière ce déploiement choc
de 3000 MPs et militaires fédéraux ? Offrir la sécurité à tous ces
citoyens démunis ? Probablement, mais si c’était le seul objectif,
peut-être les pouvoirs publics essaieraient-ils de lutter plus activement contre la
corruption et la relative violence des 18 autres UPP (Unités de Police
Pacificatrice), dont l'action divise les habitants. Surtout, ils se seraient attaqués au problème depuis bien longtemps, et n'auraient pas oublié de nombreuses favela de la zona norte. C'est loin d'être un secret,
l’enjeu pour Sergio Cabral, gouverneur de l’Etat de Rio, et son secrétaire à la
sécurité publique, José Mariano Beltrame, est surtout de prouver au monde
entier que la Coupe du monde 2014, les Jeux Olympiques en 2016, la conférence
des Nations Unies Rio+ 20, etc, ne se dérouleront pas
dans un contexte d’insécurité ! Il faut en finir avec le trafic et la violence trop visibles ! Soyez rassurés petits français donc,
vous pouvez prendre vos billets Paris-Rio en toute tranquilité..
Malgré l’amour inconditionnel des cariocas
pour le « futbol », ils semblent décidemment lassés de voir la Coupe
du monde aspirer toutes les ressources publiques… du moins celles qui ne sont
pas restées dans les poches des politiques.
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