Il est 10 heures. Normalement, à cette heure je devrais doucement émerger au bruit du bondinho ou des charmants aboiements des chiens du tier-quar. Et non, aujourd’hui, j’ai déjà parcouru deux fois Rio…. La nuit a été courte, et le réveil violent, quand on a du prendre un taxi à 5h du matin direction Service de l'immigration de la police fédérale à l’aéroport afin de faire valider notre visa. Pour la deuxième fois, je perds des heures de sommeil et de l'argent, car pour la deuxième fois je me suis fait envoyée bouler par la police. La bonne nouvelle, c’est que je me suis faite recalée dès le matin, donc je n’ai pas passée la journée dans ce lieu de torture des étrangers… et qu’une journée entière s’offre à moi.
A midi, après un petit somm’ réparateur, je décide de m’exiler loin de toute autorité, loin de la fatigue urbaine et pars pour une journée plus calme dans les ruelles de Santa Teresa. Dans mon sac, je glisse mon réflex, un magazine du Monde Diplo sur le Brésil, et un peu d’argent. Et oui, il est temps de prendre le temps de faire fonctionner mon bout de cervelle, le côté gauche de mon cortex commençait à moisir. Pour l’instant, mes connaissances sur le Brésil sont maigres ; je sais vaguement qu’il y a eu une dictature y’a quelques décennies au Brésil, pas beaucoup plus.
A peine franchi le pas de la porte – bleue – (et oui, je suis fière d’avoir une porte de la même couleur que Hugh Grant dans Coup de Foudre à Notting Hill, merci de n’émettre aucun commentaire sur ce détail de mon adolescence), je jette un coup d'oeil à gauche, à droite, pas de mec louche. Je sors alors mon cher reflex ... 42 secondes plus tard, une brésilienne m’avertit, « attention avec ton appareil ! ». Ca commence ! En même temps, je la comprends, car dès que je voyais des touristes passer un réflex à la main, - tout comme une mamie à son balcon- , je m'exclamais : « Ils sont pas fooous ? ». Je monte un peu, jusqu’à atteindre un petit bar stratégique pour sa vue sur Rio, et je décrète que c’est un lieu cool pour étudier, ou plutôt pour lire. Coca Light posé sur la table, satisfaite, je me mets à l’œuvre...
Atelier d'artiste sur la route
Dans une petite galerie d'artiste...
vue de ma chaise
J’essaye d’ignorer la télé au dessus de moi, les touristes qui ont débarqué, et les gouttes de sueur qui coulent inévitablement le long de ma jambe, mais après quelques dizaines de minutes, je repars à la recherche d’un havre de paix. C’est un oasis de fringues que je trouve un peu plus haut… Je craque pour une jupe à 100 reais – soit 45 euros – mais c’est une pièce unique créée dans la boutique, et sur les pentes de la Croix-Rousse, elle aurait bien été 150 euros (auto-persuasion quand tu nous tiens) :) ! Bien sûr, ici, mon porte-monnaie est vide en permanence, et la carte bleue bien rangée, donc je me contente de réserver...
14h : Peu de parcs, peu de terrasses ombragées à Santa Teresa… je me contente donc d’un placette au coin de la rue et me replonge dans le Brésil des années 1970. Wow, l'épiscopat était progressiste et dans la ligne de mire de la dictature ? Cool, j'savais pas qu'une Eglise non corrompue et associée au dictateur, ça avait existé en Amérique Latine.
Un vieux monsieur s’est entre temps installé sur le banc d’à côté. Avec sa présence, c’est officiel, je ne suis plus à Rio de Janeiro mais dans un petit village à flanc de colline. Je lui demande si je peux prendre une photo de la placette, siii mignon ce ptit vieux assis sur son banc !
Là, il se dévoile, et me confit qu’il adore cette petite place, qu’il vient tout le temps (à vrai dire, je n’étais pas très surprise), et qu’un jour, il a dessiné une dame assise en face de lui avec son chiot sur cette même place… Puis s’enclenche une discussion sur le dessin, et la photo, il ne s’arrête pas. Pendant 5 minutes, il me décrit une photo qu’il a prise près du Jardin Botanique; la manière dont le ciel se reflétait dans l’eau, il n’oublie aucun détail, ni le cadrage, ni la lumière, avant d’enchainer sur une deuxième photo, pour laquelle il a attendait presque une heure que la lumière soit parfaite… Je vous fais grâce d’une longue discussion sur la photographie, mais sa volonté de partager son savoir va encore plus loin... « Viens avec moi, je vais te faire découvrir les secrets de Santa Teresa » !
15h30 : Nous voilà tous les deux partis, formant une équipe bien improbable à la rencontre des trésors de Santa Teresa. C'était « La tête en friche », volume 2. Bon, son « spot » préféré s'avère en fait n'être qu'une simple petite ruelle isolée et fleurie..
Le quartier abrite de grandes propriétés, autrefois réservée à une élite, qui jouit d’une tranquillité et d’une vue sans pareille à Rio de Janeiro... auprès desquelles se sont greffées des favelas. Les pavés de Santa Teresa ont pourtant gardé une odeur de bohème ; souvent surnommé le Montmartre carioca, on y croise plus d'artistes, de bobos et de dredeux ici que dans tout le reste de Rio.
Street Art à la brésilienne :)
Le bon vieux Março, engagé dans la lutte de la défense de Santa Teresa au sein d'une association de quartier, se plaint du délabrement du lieu.
Le quartier a besoin d'un coup de peinture, mais pitié pas d'être transformé en un Copacabana bis ! Heureusement, la topographie empêche la construction de buildings (hôtel ou centres commerciaux), mais à ses yeux, sans argent le pouvoir des locaux est bien faible… les politiques étant TOUS corrompus. « Sans argent c'est difficile » me dit-il en français (je me demande quel talent caché il va encore me dévoiler). Lula ? «C'est un dé-ma-go, un bou-ffon !», « UPP » (unités de police pacificatrice contrôlant les favelas) ? « Du bluff ! Les dealers font ce qu’ils veulent dans la favela là-haut. Tu vois l’hôtel là juste à l’angle ? Il y a quelques semaines, les dealers ont volé tous les touristes.. Il tourne la tête : Et ici, il y a une dizaine de jours des touristes se sont fait agressés, les voitures des flics étaient justes à côté ! Tu parles, c’est du bluff pour le mondial toute cette histoire. » « Ce qu’il faut ? Une révolution, un bain de sain ! Il faut tuer tous ces pourris qui accaparent toutes les richesses ! ». Bien sûr, je laisse les guillemets et je vous laisse le soin d’interpréter la pertinence de son discours.
16h30 : Je saute dans le « bonde », petit tramway jaune et véritable symbole du quartier. Une qualité est indispensable pour tout utilisateur du bondinho... La pa-tience (du centre historique, j'ai une fois fait la queue entourée de touristes pendant une heure pour pouvoir approcher le bonde... je me croyais dans la file du Louvres.) Dans la joie et la bonne humeur, on redescend, en compagnie de touristes et de locaux, qui bien souvent préfèrent s'accrocher sur le côté du tram, car comme ça le voyage est gratuit ! Coup de frein brusque, un bus bloque le passage plus bas.. On reste coincés dix minutes, le conducteur nous sort «déjà que je n'ai pas de patience, mais là, c'est le pompom », ce qui m'amuse compte tenu de son sourire et de son calme à toute épreuve.
17h : Je profite des dernières lueurs du jour avant de repasser le portail bleu.
Graff' devant chez moi
Ressourcée et paix intérieure retrouvée, je rentre dans ma chambre. Oups, il est déjà l'heure de me pomponner car ce soir...y'a Soirée à COPAA !
Une belle escapade à Santa Teresa. J'imagine que la soirée à Coppa était moins ressourçante.
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